Immobilier : Attention à la bulle !

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De Plaisance à Grand Baie, de Flic-en-Flac à Belle Mare en passant par Ébène le ballet des grues est incessant. De quoi alimenter une bulle immobilière.

immobilier« On a accouché et on a oublié les douleurs de la gestation, donc on retombe enceinte. Aujourd’hui, beaucoup de femmes sont enceintes simultanément. » La parabole est peut-être burlesque, mais conforme à la réalité. Et pour cause : Paula Zoio-Labat, associée de l’agence immobilière Pam Golding Maurice, est une observatrice avisée du marché local depuis dix-sept ans. Le secteur immobilier mauricien est en pleine ébullition. Il ne se passe pratiquement pas un jour sans que la presse ne relate un projet de ville nouvelle, de complexe résidentiel, de centre commercial, de parc de bureaux, de RES (Real Estate Scheme), ou d’IRS (Integrated Resort Scheme). Paula Zoio-Labat affirme que l’offre est, à ce jour, supérieure à la demande.

« Certains projets répondent à une réelle demande quand d’autres sont purement spéculatifs. Investir dans la pierre a toujours le vent en poupe. Les spéculateurs réussissent donc à trouver preneur, à la location et à la vente. Mais il faut encore que le projet ait été bien conçu et qu’il se situe dans un emplacement de choix. C’est le travail que fait le promoteur en amont qui déterminera le succès de son projet », explique Philippe de Beer, directeur et associé de Parklane Properties.

Les prix ont fortement augmenté dans certaines régions, notamment l’Ouest et le Centre. Mais cette inflation, bien que toujours réelle, est moins exponentielle. Les développements de centres commerciaux et d’affaires au cœur de l’île affectent le prix des terrains agricoles et résidentiels. Le prix de la toise à Highlands est désormais compris entre 10 500 et 12 000 roupies, contre 5 000 roupies en 2004. Dans la même région, la demande de résidences et d’appartements de qualité existe, comme l’atteste le projet intégré des Allées d’Helvetia du groupe ENL à Moka. Le phénomène est identique dans l’Ouest, où la demande de terrains résidentiels est importante. « Il est de notre rôle, en tant qu’agence immobilière, de conseiller les propriétaires vendeurs de présenter leurs résidences à des prix raisonnables. Toutes les agences ne jouent malheureusement pas le jeu. Beaucoup d’entre elles encouragent les propriétaires à mettre leur bien sur le marché à des prix exorbitants. Cette recherche de gain à court terme fausse le marché et pousse le secteur sur une mauvaise pente », déplore M. de Beer. Sur les littoraux ouest et nord, la demande est plus évidente pour du résidentiel. Pour preuve, ces deux régions recensent la plus grande concentration de projets IRS et RES. Conséquence : il y a de plus en plus de sollicitations pour du commercial et des bureaux, avec l’émergence de nouvelles agglomérations. Ainsi, le groupe Médine, dans le cadre de son projet de développement intégré de la côte ouest, prévoit d’y construire un centre commercial (Cascavelle Mall) de 10 000 m2 et un business park de 4 000 m2. Coûts respectifs des deux entreprises : 1 milliard et 300 millions de roupies.

Alors que les gratte-ciel poussent comme des champignons à Ébène, où le prix du mètre carré flambe, Port-Louis a encore la cote comme Central Business District. Plusieurs immeubles de bureaux y sont en gestation. Mais ces deux villes n’ont pas le monopole des business park qui se développent à Moka (Moka Business Centre), Beau Plan (Beau Plan Business Park) et Calebasses (The Junction Business Hub). Le centre de l’île, pour sa part, reste La Mecque des complexes commerciaux. « On en dénombre six sur un axe autoroutier de quarante kilomètres. Et même sept, si on inclut le Rose Belle Value Centre à venir dans le Sud. Au total, il y a une dizaine de shopping malls existants ou en cours de développement, entre Plaisance et Grand Baie », comptabilise Sanjiv Mihdidin, directeur général de Foresite Property.
« On peut s’interroger sur la capacité du marché à absorber une telle offre de nouveaux espaces commerciaux dans le centre (Réduit, Trianon, St Jean). Je ne pense pas que la partie soit gagnée pour les promoteurs de ces temples de la consommation. Cependant, cette abondance attirera sans doute de nouvelles enseignes étrangères, qui ne sont pas encore présentes à Maurice », affirme Philippe de Beer.

La VEFA : un gage de crédibilité
Le contrat VEFA (Vente en état futur d’achèvement), encore appelé vente sur plan, permet de trier sur le volet les projets sérieux. En effet, dans ce type de convention, le promoteur doit offrir de solides garanties à son banquier, afin que celui-ci délivre à son tour une GFA (Garantie future d’achèvement) des travaux de construction. L’acquéreur a ainsi l’assurance de la réalisation du projet, et donc de la livraison de sa propriété. Les spéculateurs mal préparés et sans solidité financière ne développent pas leurs projets en VEFA. Ils proposent d’autres formules juridiques, moins rassurantes pour l’acquéreur.

« Certains promoteurs présentent a posteriori aux agences leurs projets déjà ficelés, sans marge pour les modifier. Dans ce cas précis, l’entreprise est souvent vouée à l’échec, car ne répondant pas aux attentes du marché. Les maîtres d’œuvre doivent réaliser qu’en tant qu’agence immobilière, nous sommes les mieux placés pour leur transmettre les attentes du marché. Nous sommes prêts à partager notre connaissance du marché s’ils font, à leur tour, appel à nos compétences pour la commercialisation de leurs projets », insiste Philippe de Beer. Si le marché des complexes commerciaux est en plein essor, d’autres produits trouvent de plus en plus acquéreur. Il s’agit des morcellements agricoles bien conçus dans des zones qui, demain, deviendront sans doute de belles régions résidentielles ; des lotissements de qualité, avec infrastructures souterraines, cahier des charges pour les futures constructions et sécurité ; des résidences avec villas haut de gamme et services de gardiennage ; et des immeubles résidentiels à appartements sécurisés, offrant des prestations comme les piscines, parkings et salles de gym.

Les raisons de la surchauffe
Avec la fin du Protocole sucre en septembre 2009, la canne à sucre, qui a été pendant plusieurs décennies la vache à lait de l’économie mauricienne, perd de son attrait. Ainsi, les principaux groupes sucriers se convertissent dès le milieu des années 2000 en développeurs immobiliers.
Les terrains agricoles sont convertis en terrains constructibles. L’offre de morcellements explose. Et ces parcelles se vendent, malgré tout, comme des petits pains. Les groupes Médine, CIEL, Rogers, IBL, Mon Loisir, ENL, ou encore Harel Frères ont respectivement créé Médine Property, CIEL Properties, Foresite Property, IBL Property Management, IOREC, ENL Property et Sagiterre. Ces structures sont exclusivement dédiées à la gestion et à la promotion d’actifs fonciers et immobiliers. Mais le boom du secteur trouve son origine en 2007, une année-charnière au cours de laquelle l’immobilier a enregistré une progression de 15% à 20%, dans le monde entier. « Une bulle a commencé à se former, il y a trois ans, à la fois dans le neuf et l’ancien. Une conjonction de facteurs explique cette effervescence. On peut, entre autres, citer l’affluence touristique record du millésime 2007 et la renégociation des baux de l’État arrivés à échéance », explique Paula Zoio-Labat. Toutefois, la volonté des autorités de Port-Louis d’ouvrir les frontières et d’attirer les capitaux étrangers aura été le véritable détonateur de cet engouement pour la pierre. À preuve : Maurice a reçu en 2007 le montant inégalé de 11 milliards de roupies d’Investissements directs étrangers (IDE). Plus de la moitié de cette manne est allée dans les développements fonciers de luxe (IRS) et dans la construction ou la rénovation d’hôtels.

Dans le sillage des IRS, les RES voient le jour en 2008. Objectif : capter toujours plus d’IDE, tout en élargissant le spectre des promoteurs et des étrangers fortunés désireux d’acquérir des villas à Maurice. Car, dans la pratique, les villas en RES coûtent trois fois moins cher, en moyenne, que les résidences en IRS (300 000 contre le million d’euros). « Il y a quelques années, nous avons assisté effectivement à une flambée des prix dans certaines régions côtières, les propriétaires fonciers pensant que les étrangers pouvaient librement acquérir des biens immobiliers. Ce faux espoir a pris un peu de temps à se dissiper. Il a, malgré tout, fait grimper les prix. Aujourd’hui, les choses sont beaucoup plus claires. Les étrangers ne peuvent acquérir des biens résidentiels qu’à travers les RES et les IRS. Leur demande n’affecte donc pas les prix de l’immobilier en dehors de ce cadre.
Toutefois, les prix du foncier s’emballent lorsque dans certaines zones prisées, des Mauriciens s’associent aux étrangers pour réaliser des villas en RES ou des projets commerciaux », souligne Philippe de Beer. Cependant, il faut bien reconnaître que la crise est venue doucher les ardeurs des investisseurs. « Les promoteurs des IRS ont le plus ressenti la crise à partir de décembre 2008 et janvier 2009. Ce n’est pas plus mal. Cela a permis une certaine prise de conscience. Ça va repartir très lentement ; on risque d’arriver à un point de saturation si les développements ne sont pas bien calculés. Les RES se vendent bien. Leur prix est compris entre 8 et 20 millions de roupies. L’architecture est en général sud-africaine avec une touche mauricienne », remarque Mme Zoio-Labat. Delphine Taylor, General Manager de Property Finder, observe une reprise des visites sur son site lexpressproperty.com, pour tous les segments du marché, depuis le dernier trimestre 2009. « Nous anticipons la reprise des transactions deux à trois mois à l’avance », ajoute cette dernière. « Ceux qui consultent le site sont pour moitié à Maurice, et les 50% restants résident à l’étranger. Néanmoins, dans le Top 10 des visites par origine géographique, on retrouve des pays recensant une importante diaspora mauricienne, la France se détachant nettement du peloton », constate-t-elle.

Des opportunités à saisir
Après les IRS et les RES, il faudra désormais se familiariser avec les IHS (Invest in Hotel Scheme). Casasola qui a été le pionnier des RES envisage de tenter ce nouveau pari. Il ne sera pas le seul, puisque le groupe hôtelier Sun Resorts construira des résidences en IHS sur le site de son dernier-né, le Long Beach, à Belle Mare.
« Les IHS ne remplaceront pas les RES et les IRS. Ce sont des produits immobiliers totalement différents. Les IHS s’adressent à des investisseurs en quête d’un retour intéressant sur leur placement. Les RES et les IRS, s’ils touchent aussi cette catégorie d’acquéreurs, s’adressent principalement à tous ceux qui ont choisi l’île Maurice comme lieu de résidence permanente ou occasionnelle, qu’ils soient retraités ou actifs. Les IHS ne pourront pas répondre à cette demande », estime M. de Beer.

« On constate une inadéquation entre l’offre et la demande. Entre le prix des terrains et celui de la construction, il est difficile de construire une maison à moins de 2 millions de roupies. Il y a une pénurie de logements résidentiels, ciblant la clientèle locale, pour des prix compris entre 2 et 8 millions de roupies. Les classes moyennes ont été délaissées. Par ailleurs, les maisons de retraite sont inexistantes, alors qu’il y a là un marché potentiel à exploiter », estime Paula Zoio-Labat. « La population mauricienne est vieillissante et il y a beaucoup de retraités européens qui viennent s’installer à Maurice », relève-t-elle. La perception de Maurice, dans les grands salons immobiliers internationaux, est encore celle d’une île où il fait bon vivre et propice à la résidence permanente, avec une offre de qualité au niveau du bâti. « Les promoteurs ne doivent pas seulement chercher à profiter de ce marché porteur au détriment de la qualité des prestations offertes. Car c’est tout le secteur et même le pays qui risquent d’en pâtir. Une réputation se construit avec beaucoup d’efforts et de temps, et se détruit très rapidement », alerte Philippe de Beer.
_ L’informatisation du cadastre prête en juillet 2010
L’informatisation du registre public consignant les renseignements relatifs au découpage d’un territoire en propriétés foncières sera opérationnelle à partir de juillet 2010. La société Infoterra, en charge de l’exercice, a aussi pour tâche la numérisation des images aériennes du pays afin d’obtenir un plan d’ensemble pour ensuite identifier et lier toute parcelle de terrain résidentiel, commercial ou industriel. Ce projet s’inscrit dans le cadre de la mise en œuvre du système d’administration des terres et de gestion, de l’évaluation et de l’information foncière (LAVIMS). L’exercice de recensement des propriétés privées et publiques est en cours depuis le mois de mars 2009. L’objectif d’une telle initiative est de rendre les transactions foncières plus fiables et plus transparentes. Ce système vise aussi à décourager et à éviter les pratiques frauduleuses, tout en suscitant une plus grande confiance dans le marché foncier. La nouvelle base de données cadastrales comportera la liste actualisée de quelque 350 000 propriétés réparties sur l’ensemble du territoire, avec leur valeur imposable placée dans le système d’information géographique et liée à un nouveau système cartographique. L’ensemble des actes notariés et autres documents se trouvant au Registrar General seront intégrés au support informatique. Le cadastre offrira un répertoire qui facilitera les recherches pour les titres de propriété et permettra d’identifier les propriétaires, anciens et nouveaux.

Albert Kouda Jr
Source : L’Eco Austral