« SCANDALE » IMMOBILIER

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Annoncées comme un « énorme scandale », les transactions immobilières des frères Timol révèlent avant tout des contentieux entre promoteurs et clients sur l’achat de villas de luxe. Un cas donnera toutefois lieu à un procès au civil en janvier. Si la fraude est avérée, c’est tout le projet de Centrepoint, à Trianon, qui sera entaché. En attendant, impossible de s’avancer autant que le font l’opposition et un mystérieux site Internet.

Pour Paul Bérenger, il s’agit d’une « fraude massive » dans l’immobilier. Il l’a révélée au public la semaine dernière, lors de sa conférence de presse. Tout en se gardant bien de citer des noms. Des membres de son parti confirment qu’il vise bien les quatre frères Timol ( Zoobair, Ousman, Ziyad et Dawood) et leurs projets immobiliers dans le Nord et à Trianon. Vendredi, sir Anerood Jugnauth est revenu sur le sujet, reprenant à son compte les allégations publiées sur un site Internet cité par l’ex-président, mauritiuspropertyscams.
com . En ligne depuis plusieurs semaines, ce site a porté de graves accusations à l’encontre des Timol. Ces derniers se voient reprocher d’avoir escroqué des clients étrangers et mauriciens en leur promettant des villas de luxe qu’ils n’ont jamais reçues. Le tout avec le soutien de leurs hommes de loi et la complicité des banques.

Selon le site, l’argent volé aurait ensuite servi à financer une autre fraude immobilière à Trianon. Le projet du centre commercial Centrepoint aurait, toujours selon l’auteur du site, servi de leurre pour attirer de nouveaux financements, détournés eux aussi par les promoteurs. Voilà pourquoi Paul Bérenger parle d’une pyramide de « Ponzi » ( lire encadré ). Autre accusation, et non des moindres, formulée à la fois par le leader de l’opposition et le site Web : les liens politiques des promoteurs leur auraient permis d’échapper à la justice.

Pour Bérenger, « deux ministres » seraient impliqués dans le « scandale » . Le tableau peint par mauritiuspropertyscams.com est encore plus sombre. C’est une véritable république bananière qui y est décrite, où la police, les banques et le gouvernement fermeraient les yeux sur l’arnaque des étrangers. Le site Internet n’est à ce jour plus accessible. Son auteur se présente comme un certain Albert R., travaillant pour le compte d’un cabinet de recherche sud- africain, Econresearch. Celuici se spécialiserait dans des « dossiers de contentieux économiques régionaux et internationaux » . Econresearch est également l’auteur d’un autre site web, anahitaripoff.com , où des allégations d’escroquerie sont lancées à l’encontre des promoteurs de l’Integrated Resort Scheme d’Anahita. Pour Zoobair Timol, ces sites sont l’oeuvre d’ « un ancien client mécontent qui se prend pour Robin des Bois et qui pense trouver des scandales partout » . Info ou intox ? En tout cas, les accusations de Econresearch sont très proches des plaintes déposées contre les Timol par d’anciens clients.

Parmi ces clients, Rory Kirk, un Sud- Africain établi à Maurice. En avril 2007, financé par son compatriote Robin Bosomworth, il signe un contrat avec l’une des compagnies des Timol, The Bay Ltd, en vue d’acquérir pour lui des bungalows de luxe à Grand- Baie. Les Timol, bénéficiaires d’un bail sur les Pas géométriques, savent que la loi mauricienne interdit l’achat de biens immobiliers par des étrangers. Ils ont toutefois recours à une astuce courante dans le milieu : vendre aux étrangers les actions d’une compagnie qui, elle, détient les biens. « Nous avons utilisé un loophole qui existait à l’époque dans la loi, en toute légalité » , soutient Zoobair Timol. Sauf que Bosomworth et Kirk ne prendront jamais possession des sept villas. C’est là que les versions divergent.

Dans une plainte déposée en 2011, Kirk explique que les Timol lui ont demandé de financer la construction des villas en échange de droits sur les propriétés et de parts dans la compagnie détentrice du bail, la filiale The Bay ( Holding) Ltd. Les sommes demandées dépassent celles prévues au départ, à cause notamment de corrections sur la dimension des lots et de la TVA à payer. Les demandes sont soutenues par des documents de banque qui réclament le paiement.

Le site Internet décrit une république bananière où la police, les banques, et le gouvernement fermeraient les yeux sur l’arnaque des étrangers.

En tout, Kirk estime avoir dépensé plus de 3 millions de dollars entre 2007 et 2009. Par la suite, les Timol lui apprennent qu’ils ne pourront accorder à The Bay ( Holding) Ltd qu’un bail locatif et non lui transférer le titre de propriété des villas. Refusant de louer ce qu’il estimait avoir acheté, Kirk cesse ses paiements. Pour Zoobair Timol, les dispositions du contrat lui permettent donc de saisir « le dépôt » de Kirk. Ce que réfute un proche du dossier, pour qui les 3 millions de dollars représentent presque la totalité de la valeur des biens et non un simple dépôt.
Il avance que la marche à suivre était de rembourser Kirk pour n’avoir pas pu lui transférer les droits promis ou alors de lui faire délivrer une « mise en demeure » de respecter son contrat. Or les Timol vendent les villas à d’autres clients, comme l’apprend Kirk suite à une demande d’injonction déposée en Cour suprême en 2011. L’affaire sera entendue sur le fond par la section commerciale de la Cour le 25 janvier 2013. La justice examinera alors la nature du contrat liant les Timol à Kirk pour savoir qui dit vrai.

Elle déterminera donc si les Timol ont escroqué Rory Kirk. D’autres affaires similaires sont en cours, notamment un autre procès qu’intente Kirk aux Timol, cette fois au sujet du projet Le Jardin à Mont- Oreb, Grand- Baie. Selon leurs détracteurs, les Timol auraient utilisé l’argent de clients tels que Kirk pour investir dans un autre de leurs projets, le centre commercial Centrepoint, qu’ils n’avaient jamais eu l’intention de mener à bout. Ce que Zoobair Timol réfute catégoriquement : « Naturellement, en tant que promoteur, j’ai investi mes profi ts d’un projet dans un autre. Si les travaux de Centrepoint ont été stoppés, c’est à cause d’une injonction de la Cour datant de 2010 [ à la demande d’une entreprise voisine] et qui n’a été levée qu’en mai de cette année. Nous avons aussi eu des soucis avec notre constructeur. Il nous a poursuivis pour rupture de contrat et il a perdu. Désormais nous sommes à la recherche de nouveaux financements pour redémarrer les travaux. » Il dit comprendre que les investisseurs du départ se soient ravisés après une stagnation du projet – évalué à 90 millions de dollars – pendant deux ans. Il soutient que la somme de Rs 380 millions avancée par une banque n’est pas « perdue » et que sa compagnie, Comaprim Ltd, compte bien la rembourser.

S’il s’avère que les Timol ont escroqué les clients de leurs villas de luxe, le financement de Centrepoint relèverait du blanchiment d’argent. Les enquêteurs de la police et de l’Icac, aujourd’hui frileux, seront contraints de revoir leur position. Les allégations de collusion entre promoteurs, avocats, notaires et politiciens, pour l’instant très floues, gagneraient en crédibilité. Mais si ce n’est pas le cas, la thèse du complot s’effondre. Les clients tels que Rory Kirk auront alors tout simplement fait une mauvaise affaire tandis que les Timol ne seraient, eux, que des malchanceux avec Centrepoint. Tout dépend donc de l’issue du procès du 25 janvier prochain. En attendant, rien ne permet d’affirmer avec certitude si ce « scandale » en est bien un.

S’il s’avère que les Timol ont escroqué les clients de leurs villas, le financement du centre commercial Centrepoint relèverait du blanchiment d’argent.

Source : LexpressDimanche du 14 octobre 2012 par Nabil MOOLNA et Vel MOONIEN