Philippe Wong : "Quid de la classe moyenne ?"

publié le

Comme à chaque début d’année, notre collaborateur, M.Philippe Wong, directeur de l’ agence immobilière Résidentia, jette un regard sur le monde de l’immobilier et du foncier à Maurice. Cette année-ci, compte tenu de la crise financière qui a affecté le monde entier au cours de ces deux dernières années, il fait aussi un tour d’horizon du monde immobilier de quelques grands pays.

D’abord, un petit coup d’œil sur le monde immobilier de quelques grands pays.
A commencer par les pays d’Europe où la reprise écono¬mique prendra plus de temps et davantage en France elle-même, au moins jusqu’a la mi-2010.
Elizabeth Duke, gouverneur de la Réserve fédérale américaine, a insisté sur les difficultés persistantes du marché immobi¬lier américain, plombé par un nombre élevé de saisies et un accès difficile au crédit pour les promoteurs et les ménages !
Quant au marché immobilier britannique, il s’est finalement comporté mieux que prévu en 2009. En février, les prix avaient reculé de 21 % par rapport à leur plus haut de fin 2007. D’après Nationwide, un spécialiste de crédit immobilier, ils ont regagné 10,2% depuis. l’année 2010 ne devrait pourtant pas donner suite à ces espoirs de reprise .... "
D’autres pensent que même si la conjoncture est incertaine, il y a toutefois des signes encoura-geants, dont la reprise de l’activité en Asie et en Amérique latine. Cette reprise pourrait être plus forte aux USA après la mi- 2010, surtout dans l’industrie et la construction résidentielle, même si le secteur non résiden¬tiel restera déprimé. 2010 sera dans le meilleur des cas une année plate. La relance en Chine semble très artificielle. La Chine investit dans les infrastructures, les capacités de production, mais sans débouchés.
(quelques bribes d’information glanées dans Le Monde 2010)
L’immobilier ne s’est pas déstabilisé pour autant en 2009 malgé la récession

En ce début de 2010, que nous réserve le petit point qu’est l’Ile Maurice à peine perceptible sur la carte du monde dans l’immense océan Indien Le miracle économique des années 1990 semble lointain. Encore plus le boom immobilier de l’après-PRB de 1988. C’est un fait que de nos jours les gens ne se bousculent pas pour acheter des biens immobiliers.
Néanmoins, si nous devons faire un bilan immobilier pour l’année 2009 ; nous pouvons dire que le marché de l’immobilier ne s’est pas déstabilisé pour autant malgré la récession et la crise mondiale aiguë. Non seulement Maurice a pu naviguer en eaux troubles en limitant les dégâts, mais il y a quand même eu pas mal de gros développements immobiliers (tant privés que publics, IRS, RES, hôtels, shop¬ping mails, appartements haut de gamme, immeubles de bureaux, gratte-ciel à Ebène ou à Port Louis ou autres complexes résidentielles) .
Paradoxalement, 2009 a été une année plutôt satisfaisante sur le plan immobilier. Il convient aux experts concernés de nous expliquer le pourquoi de ce constat contradictoire et com¬ment un si petit pays a pu mettre la tête hors de l’eau malgré tant de turbulences extérieures !
Dans un des éditoriaux de Lindsay Rivière, on pouvait lire :
"L’Ile Maurice n’est sans doute pas épargnée, mais elle n’est pas non plus terrassée, le genou par terre. Ceci tient à plusieurs facteurs." Citons-en un parmi : "Une agilité intellectuelle rare dans le tiers-monde, de surcroît avantagée par la taille réduite de nos besoins. L’Ile Maurice apparaît ainsi, depuis vingt ans, comme un petit ’speed boat’ pouvant virer et changer de cap à grande vitesse, alors que d’autres pays apparaissent, eux, comme de lourds pétroliers difficiles à manœuvrer et néces¬sitant de grandes courbes pour repartir." (Business Magazine No. 887)

Les prix de l’immobilier continuent toujours à monter

Peut-être aussi que le taux d’inflation frôlant deux chiffres (9,7 %) en 2008 et qui est descendu à 2,5 % en 2009 y est pour quelque chose !
Sur le plan strictement immobi¬lier, nous constatons que les prix continuent toujours à monter. Comme nous l’avons déjà fait ressortir à maintes reprises dans ces mêmes colonnes, l’Ile Maurice, aussi belle et pitto¬resque soit-elle, a une superficie hélas restreinte. Donc, un jour viendra inéluctablement où il n’y aura plus de terrain disponible pour construire. Les gros dévelop¬pements immobiliers (cités plus haut) disséminés un peu partout à travers l’île, avec leur appétit d’ogre, sont de gros "consomma¬teurs" de terrains et le principal déclencheur de la hausse des prix. C’est évident que c’est toujours dans les régions les plus demandées que la hausse des prix est plus conséquente pour ne pas dire exagérée (dans certains cas), la loi de l’offre et de la demande prime par-dessus tout.

Traditionnellement, les terrains dans les villes, Quatre-Bornes en tête, puis Floréal-Curepipe, Beau Bassin, Rose-Hill et Vacoas¬Phoenix, se vendent de plus en plus cher. Port Louis est un cas à part vu que les prix ont toujours été prohibitifs. Ces dernières années, la classe moyenne est parvenue à dénicher tant bien que mal des terrains dans ces quelques régions : Montréal Coromandel, Roches Brunes, Ebène, Belle Rose, Moka et Saint Pierre. Mais ces mêmes régions sont maintenant de plus en plus convoitées par les gens aisées. Ce qui inévitablement fait flamber les prix, et par consé¬quent les régions précitées deviennent de plus en plus
inac¬cessibles pour les bourses moyennes.

Si en 2005, on a pu acheter un terrain dans le triangle d’Ebène dans la fourchette Rs 7.500 à Rs 9.500 la toise dépendant si c’est à Ebène City, Ebène Towers ou au Bout du Monde, de nos jours (5 ans après), il faut comp¬ter dans les Rs 15.000 - Rs 22.000 la toise pour pouvoir acheter le même terrain.

Si en 2006 les terrains dans le nouveau morcellement à Roches Brunes (St Daniel II) ou morcelle¬ment Terre d’Albion se vendaient à Rs 5.000 - Rs 5.500 la toise, aujourd’hui il faut casquer le double. La classe moyenne se trouve donc toujours dans cette position inconfortable de porte-à¬- faux. Elle ne peut ni se permettre d’avoir un terrain de son choix à un prix abordable ni se permettre d’acheter un petit appartement en raison du prix hors de sa bourse. Vu la cherté des matériaux de construction et de la main-d’œuvre, même la MHC, qui a dans le passé aidé de nombreuses familles avec des revenus moyens, vend des appartements (en projet de construction à Vuillemin, Beau Bassin) à partir de Rs 2.545.000, ce qui n’est pas toujours à la por¬tée de nombreux foyers mais paradoxalement abordable par rapport à d’autres appartements neufs qui se vendent entre Rs 3 M et Rs 4 M dans la même ville. Et là encore, nous ne parlons pas de certains appartements haut de gamme qui se vendent autour de Rs 5 M - Rs 9 M dans certaines zones huppées.

La hausse des prix des terrains dans la région côtière est encore plus prononcée

La hausse des prix des terrains dans la région côtière est encore plus prononcée. Outre les régions traditionnellement très prisées dans le nord comme Trou aux Biches, Grand Baie, Mon Choisy, Péreybère où les prix des terrains ont atteint des sommets. Les gens ont depuis un bon bout de temps "émigré" en dehors de ces zones, c-à-d. vers les régions avoisinantes telles que Pointe aux Biches, Cap Malheureux, Grand Gaube, Calodyne, etc. Même ces régions ne vont pas tarder à être saturées. Où donc acheter ? A Albion, Flic en Flac, Tamarin, La Gaulette ou Rivière Noire ? Là aussi, les gens ont déjà beaucoup acheté, ces dernières années. Ce qui fait que presque toutes ces régions de la côte ouest ne vont pas tarder à être surpeuplées (si ce n’est pas déjà le cas).
Conséquemment, les prix ne cessent de croître d’année en année. Si bientôt nous ne pourrons construire ni dans le Nord ni dans l’Ouest, ou irons ¬nous alors ? Il est plus approprié de se demander : que nous reste-t-il d’abord ? L’Est ? Détrompez-vous si vous espérez trouver des terrains à bon marché à Belle Mare ou à Trou d’eau Douce. Même les terrains à Poste la Fayette ont pris une courbe abrupte (bien sûr ascen¬dante). Et le Sud ou le Sud-Est ? De petits malins n’ont pas tardé à investir dans le Sud ou le Sud-Est pour des développements futurs. Exception faite pour Pointe d’Esny et Blue Bay, qui sont déjà très développés. Et vous avez vu loin si vous avez déjà investi à Riambel ou Le Bouchon. Même constat pour la région s’étendant de Vieux Grand-Port à Petit Sable en passant par Anse Jonchée, qui offre de belles perspectives. Certains terrains sur les hauteurs de cette même région offrent des vues splendides. Ils ont certes toujours leur statut agricole mais leur potentiel de développement est immense !

Nous avons la chance d’être en contact avec des acheteurs prati¬quement tous les jours et nous en rencontrons de tous les profils. Deux parmi eux qui retiennent particulièrement notre attention sont l’un à l’extrême de l’autre. D’un côté, un jeune couple aux revenus moyens et, de l’autre, des acheteurs (toujours les mêmes ?) de gros calibre !
Un jeune couple débutant dans la vie arrive difficilement à acheter un bien immobilier au départ même. A moins qu’il soit aidé des parentslbeaux-parents. Sinon, il est obligé d’avoir recours à un prêt. A condition de toucher un ’’bon’’salaire combiné.
l’achat du terrain seulement (de 80 à 100 toises) peut coûter dans les Rs 800.000 - Rs 1 M. La construction pourrait commencer après des années de sacrifice. Prenons le cas d’un couple touchant dans les Rs 15.000 ¬Rs 20.000 avec deux enfants au collège. Vu la cherté de la vie, après le paiement du loyer (Rs 5.000 - Rs 6.000), l’eau et l’électricité (Rs 1.200), les leçons particulières (Rs 1.500), l’essence ou le transport public (Rs 2.000) et l’achat de provisions (Rs 4.000) sans compter les livres, les vête¬ments, les médicaments et les honoraires des médecins et autres imprévus, non seulement il ne lui reste plus rien à mettre de côté mais il n’arrive même pas à joindre les deux bouts.

« Ce serait une bonne chose si on arrivait à aider cette classe moyenne qui de nos jours n’est plus ... moyenne »

Pour ce couple, la spirale infernale continue. Il ne peut épargner ; donc il ne peut acheter. Faute d’avoir un logement, il est obligé de louer. Et plus le temps passe, plus les prix (que ce sort d’un ter-rain, d’un appartement ou d’une maison) grimpent. Comment sortir de cette mauvaise passe ? Certainement pas en jouant au ... loto. Ce serait une bonne chose si on arrivait à aider cette classe moyenne qui de nos jours n’est plus... moyenne. Par exemple, réinstaurer l’exemption de la taxe pour les first time buyers peut être une aide précieuse pour beau¬coup de jeunes couples. Ceux au bas de l’échelle ont une subven¬tion de Rs 40.000 pour couler la dalle. Peut-être étendre cette même subvention (avec des critères bien définis) à la classe moyenne soulagerait un grand nombre de familles. Bien que la Land Transfer Tax pour une personne qui vend un bien immobilier et qui est propriétaire depuis moins de 5 ans art été ramenée de 10 % à 5 % Qusqu’en décembre 2010), les prix n’ont pas baissé pour autant !

L’autre extrême du profil type d’acheteur nous amène vers des personnes qui n’ont pas vraiment besoin de terrains pour construire leur logement ; ils sont déjà ... multipropriétaires (de terrains, maisons, appartements, campe¬ments avec piscine privé et même de... bateaux). Bien entendu, il n’y a aucun mal à être riche s’il l’on a travaillé dur pour ça. Eux, ce sont plutôt des hommes d’affaires qui cherchent à faire fructifier leur argent, aux aguets d’opportunités, achetant et revendant au moment propice. Ils ont de gros moyens et peuvent tout acheter tout de suite si besoin est. Nous ne parlerons pas ici de la vente à la barre - qui est un tout autre domaine.
Ce sont des gens qui ont su quand et comment investir, dans quoi investir. En sus d’avoir du flair dans les affaires, ils ont su prendre des risques (calculés) pour en arriver là. Ils ont investi de gros sous en construisant de gros immeubles pour les revendre ou pour les louer à de grandes sociétés dans l’offshore, les services financiers, les TIC ou les centres d’appels ...
Ils ne se contentent pas de s’asseoir confortablement sur leurs sous déposés en banque comme le font des dizaines de milliers de gens. Les intérêts ne rapportent relativement rien sinon des risques de se casser la figure si la roupie déprécie. Et il ne faut surtout pas négliger l’infla¬tion galopante. Que de gens se sont retrouvés avec des capitaux dépréciés que même les intérêts déjà touchés ne suffisent plus à combler. Bien sûr, à part les placements en banque, il nous reste la Bourse, l’entreprise ou le foncier. Aux spécialistes de se prononcer sur la Bourse et les entreprises. Par contre, comme investissement, la terre a toujours été un placement solide et sûr. Les prix ne baissent pratique¬ment pas.
Comme nous l’avons vu plus haut, c’est plutôt le processus inverse qui s’avère. Les prix dans certaines régions ne cessent de grimper. Il y a des terres qui rapportent beaucoup plus en un rien de temps (par exemple, les terres à Ebène) et il y a d’autres qui prennent presque une décen¬nie pour prendre de la valeur ! Donc, c’est primordial de savoir choisir le bon endroit, privilégier le bon emplacement, l’environne¬ment, et là où il y a une forte demande locative. Il y a aussi quelques autres critères à ne pas négliger : si le terrain est situé près d’une cybercité, s’il y a un développement (ou projet) IRS or RES dans le périmètre, s’il y a une nouvelle ville (projet de Highlands) ou un méga projet (zone économique de Tianli à Riche Terre, par exemple).

Ebène OÙ les bâtiments sont les uns plus hauts que les autres

Si un Mauricien établi ailleurs revient dans son île natale après dix ans d’absence, il découvrira que Maurice n’est pas en reste du progrès dans le monde. Des grues et des gens qui travaillent comme dans une fourmilière à Ebène où se dressent une multitude de bâtiments les uns plus hauts que les autres. Quelques exemples : Infinity Tower comprend 9 niveaux, Mindspace de The Bhumi Fund est un immeuble de 10 étages, 1 Cybercity de MaxCity Properties est un complexe de trois immeubles avec treize, dix et sept étages, etc. Et Port Louis dans tout ça ? Elle arbore tout aussi majestueusement ses gratte-ciel tels que la Telecom Tower, la BOM Tower, la Newton Tower ou la Garden Tower.

Ce sont certes des signes visibles de gros développements qui jonglent avec des milliards mais il ne faut pas tirer de conclu¬sion trop hâtive et généraliser. Cela ne veut pas dire forcément que l’immobilier dans son ensemble est florissant ou en parfaite santé.

Aucun pays n’est à l’abri de ce qui est arrivé à Dubaï où se dresse pourtant le plus haut bâtiment du monde, leBURJ DUBAI, de ses 828 mètres et ses 162 étages. La tour la plus haute d’Europe, en construction au bord de la Tamise dans le quartier de London Bridge ne fait même pas la moitié de sa hauteur.
Dubaï, ce nom nous évoque les gratte-ciel et les croissances d’entreprises tout aussi importantes qui constituent ce mini-Etat. Et pourtant...
Pourtant, la crise immobilière US ne s’est pas arrêtée aux capitales européennes et a franchi mers et océans pour arriver jusque dans les pays du Golfe, riches en pétrole et dont la croissance paraissait jusqu’ici inébranlable.
La banque saoudienne Samba vient d’annoncer que les prix de l’immobilier à Dubaï pourraient baisser jusqu’en 2010. Réagissant à cette annonce, les cours de bourse des sociétés immobilières ont chuté.
(source : www.paper¬blog.fr/1077923)

Mais quand même, terminons sur une note plus optimiste. Le déficit budgétaire pour l’année 2009 est de 3,5 % au lieu des 4,8 % comme annoncé précé¬demment. Le ministre des Finances prévoit que l’année 2010 sera meilleure que celle qui vient de s’écouler. Il estime que la performance économique en 2009 est très honorable vu le contexte difficile qui a prévalu au niveau international au cours de l’année écoulée et en ce qui concerne l’année en cours, il est confiant que la croissance prévue de 4,3 % sera atteinte.
Gageons que la croissance immobilière ira crescendo. C’est la croissance immobilière qui engendre la croissance écono¬mique ou vice versa ? N’oublions pas cet adage bien mauricien qui dit que si le bâtiment va tout va !

Indication des prix des terrains résidentiels 2010

Source : Immobilier & Construction Jan/Fév 2010